Comme chaque lundi matin, Ginette et Micheline font face à une dizaine de pensionnaires du Centre hospitalier de longue durée du Chênois, à Bavilliers (Territoire de Belfort). Agées de 75 ans à plus de 100 ans, la plupart de ces dames sont traitées pour une démence de type Alzheimer. En ce matin de juin, elles participent à leur séance hebdomadaire de qi gong.
Depuis quelques années, les médecines dites alternatives - hypnose, acupuncture, ostéopathie, homéopathie, etc. - se fraient une place dans l'environnement hospitalier, en complément de la médecine allopathique. Certaines de ces pratiques médicales peuvent jouer un rôle dans la lutte contre la douleur, mais aussi pour accompagner des pathologies chroniques, atténuer les effets secondaires de médicaments ou encore aider au prolongement de l'autonomie chez les personnes âgées. Originaire de Chine, le qi gong est proposé depuis février 2007 à Bavilliers. "Comme tous les projets de ce type, on a voulu tenter l'expérience ; c'est toujours de l'ordre du "pourquoi pas ?"", explique Gabrielle Mourey, responsable de l'animation du centre hospitalier.
Les deux bénévoles montrent les gestes à faire pour effectuer ces exercices de respiration abdominale, ces auto-massages des bras, du visage, de la tête et des jambes qui suivent les méridiens et les points d'acupuncture. Un lecteur de CD laisse échapper le son envoûtant de carillons et de chants d'oiseaux. Lors de leur séance d'une heure, les pensionnaires esquissent un sourire, échangent des regards.
En gériatrie, la séance de qi gong a été adaptée à la posture assise et ne compte pas d'explications techniques. "On essaie de les relaxer, de les aider à reprendre conscience de leur corps, dont elles sont souvent dépossédées. On veut leur apporter du bien-être", explique Gabrielle Mourey, qui affirme qu'après chaque séance ces dames sont calmes, comme vidées de leurs tensions intérieures.
Le "bien-être", c'est aussi ce qu'a voulu apporter le professeur Bernard Descottes à ses patients. "Dans nos hôpitaux, nous sommes avant tout des techniciens de la maladie, mais il manque une prise en charge de l'humain dans sa globalité", résume ce chirurgien dont la connaissance de la médecine asiatique lui a, dit-il, "ouvert l'esprit". Lorsqu'il a voulu créer un "espace bien-être" au sein de son service de chirurgie viscérale et transplantations au CHU de Limoges, il a "tout entendu".
"Et pourquoi pas aussi des péripatéticiennes !", lui a même lancé un ancien directeur. Têtu, persuadé de la nécessité d'offrir aux malades un accompagnement psychologique, le professeur Descottes est finalement parvenu à obtenir un financement de l'Agence régionale d'hospitalisation et de la Ligue contre le cancer.
Depuis un an, deux infirmières dispensent des soins de relaxation, de sophrologie, de massage, etc., à des patients souvent gravement malades. "Ces deux postes sont fondamentaux", insiste le professeur Descottes - en témoigne le "carnet de remerciements" des patients. Un autre espace bien-être a d'ailleurs ouvert à l'hôpital Mère/Enfant de Limoges pour les grossesses pathologiques et les enfants malades.
L'introduction de ces méthodes alternatives relève souvent d'une initiative personnelle, d'un médecin au parcours atypique, qui essuie, dans un premier temps, le regard dubitatif de ses collègues. Acupuncture, hypnose, ostéopathie, art-thérapie : toutes ces disciplines ont pris place, depuis plusieurs années, au sein du centre de la douleur adulte-enfant du centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble.
"Cela n'a pas été très facile, il y avait peu de soutien", se souvient le docteur Jean-Pierre Alibeu, responsable de ce centre. "Notre volonté était de développer la prise en charge non médicamenteuse et d'améliorer le vécu et la qualité de vie des malades", explique cet anesthésiste-réanimateur, également formé à l'hypnose. Séance d'ostéopathie pour des lombalgies ou des sciatiques, d'acupuncture pour des migraines, des tendinites ou des zonas, d'hypnose et de relaxation pour atténuer des douleurs ou soigner une migraine chez un enfant, "les patients, qui n'en peuvent plus de prendre des médicaments, sont très demandeurs", constate le docteur Alibeu.
Si l'hypnose médicale et l'acupuncture obstétricale (utilisée lors des accouchements) font l'objet de diplômes universitaires, toutes les médecines alternatives ne bénéficient pas du même encadrement, et leur efficacité reste difficile à évaluer scientifiquement, faute de financement pour lancer des études de cohorte. "Nous avons des preuves cliniques, des malades guérissent, atteste le docteur Alibeu. La demande est telle que ces approches vont se développer de plus en plus, mais il faut mieux les encadrer." La Haute Autorité de santé a d'ailleurs récemment soutenu le recours aux médecines alternatives dans la prise en charge de la douleur.
Au centre hospitalier de Bavilliers, personne n'attend de miracle de ces exercices de qi gong. "Si cela ne fait pas de mal, ça peut peut-être faire du bien", considère le directeur, Philippe Meyer. "Au Canada, une étude clinique sur la pratique du tai-chi - un art martial fait d'enchaînements lents et d'étirements -, a démontré, en gériatrie, sa capacité à prévenir les chutes", affirme Bruno Mazoyer, médecin gériatre au Chênois. Pour le qi gong, on n'en est pas encore là. "Je ne suis pas capable de dire s'il y a un effet durable de la séance, dit le médecin. Ce que je vois, en revanche, ce sont des gens qui sont contents de venir et un exercice intéressant pour le stade moyen de la maladie, puisqu'il est capable de fixer leur attention."
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